Une lutte pour l’installation collective en agrobiologie

L’arbitrage

Le 15 décembre dernier, le conseil d’administration de la SAFER Bretagne se réunissait pour (entre autres) départager deux projets concernant l’attribution de la ferme de Nargoat, située sur la commune de Querrien, en Finistère sud.

Cette ferme de 54 hectares comporte 22 hectares de SAU (surface agricole utile) et 32 hectares de forêt classée en grande partie en ZNIEFF/Natura 2000, au sein du bassin versant de la rivière Ellé.

Les deux projets en concurrence étaient les suivants :

  • un projet d’agrandissement : Pas d’installation nette : le fils (21 ans) s’associe avec sa mère pour reprendre la société du père, tandis que ce dernier se détache sur une seconde entreprise existante (ETA, entreprise de travaux agricoles). L’exploitation actuelle, qui produit de la volaille, des céréales et du lait, passerait ainsi de 150 à 200 hectares. Il s’agit d’agrandir le cheptel de vaches, mais de l’autre côté de la commune, Nargoat étant situé à 6 km du siège d’exploitation. Projet délocalisable ;

  • un projet d’installation collective en agroécologie : les Communs de Nargoat, avec l’installation de deux jeunes agriculteurs : Elodie Hilpert, sur un atelier oeufs bio en agroforesterie et viande ovine, Alexandre Laubin sur un atelier maraîchage biologique ; et la confortation d’un troisième agriculteur, Gildas Hellegouarc’h, déjà installé en viande bovine Bretonne Pie Noire sur les parcelles agricoles qui jouxtent Nargoat et un siège d’exploitation situé à 1.4 km de la ferme à reprendre. Financement citoyen à travers la SCI Courte Échelle, afin de faciliter l’installation des porteurs de projet et de pérenniser l’orientation agroécologique du projet. Projet ESS accompagné par la Région, et soutenu par les associations environnementales et les syndicats paysans. Projet non délocalisable, car réalisé avec les voisins du terrain.

Résultat : le Conseil d’Administration de la SAFER attribue la ferme au projet d’agrandissement.

Raison invoquée en première instance : la SAFER n’a pas souhaité installer des jeunes sur du bâti en location ;

Raison invoquée en seconde instance (la faiblesse des motivations de la SAFER a conduit la DRAAF à réclamer un second examen du dossier) : la SAFER ne veut pas attribuer à une SCI – ceci, bien que nous ayons instamment demandé une attribution aux agriculteurs, la SCI n’étant qu’un financeur.

Une pétition est alors lancée pour pousser les services de l’État à aller dans le sens des objectifs prioritaires d’installation et d’agroécologie affichés dans les documents-cadres nationaux et régionaux.

Les décisions de la Safer sont soumises au contrôle de l’Etat.

Aujourd’hui, d’où en sommes-nous ?

L’association « Les Communs de Nargoat » fait le point :

🙏 Merci Cette pétition a été signée par 600 personnes, une trentaine d’associations et de nombreuses personnalités politiques. Merci. Votre soutien est d’autant plus précieux que nous savons avoir eu les signatures de personnes concernées et engagées.

Quel résultat ? La DRAAF a entendu notre protestation. Elle a donc souhaité recevoir les deux projets concurrents, afin de se faire son propre avis. C’est sans doute rare de se voir offrir une telle opportunité. Notons qu’en nous recevant, la DRAAF reconnait de facto la faiblesse juridique du choix opéré par la SAFER. Elle ne se serait pas fatiguée à nous recevoir, sinon.

🐱 Appelons un chat, un chat Nous avons été reçus à la DRAAF jeudi dernier. Cette entrevue a été l’occasion d’expliquer notre projet de vive voix. Curiosité : pour la DRAAF, le projet concurrent (une ferme qui passerait, si attribution de Nargoat, de 150 à 200 ha) « n’est pas un agrandissement ». La DRAAF réserve apparemment (et arbitrairement) le mot « agrandissement » aux projets de plus de 500 ha. Rappelons que la taille moyenne des fermes en France est de 67 ha.

Qui veut 100% de rabiot ? Il n’en reste pas moins que notre projet installe deux fois plus d’agriculteurs que le projet concurrent (quatre fois plus à terme). Si on faisait ainsi 100% d’augmentation sur chacune des installations, le problème du remplacement des générations d’agriculteurs serait probablement moins prégnant.

Argument, pertes et profits Nous ne savons toujours pas quel argument juridiquement valable la SAFER nous oppose pour refuser notre dossier. La SAFER indique juste qu’elle a eu « des doutes » sur le fonctionnement de la SCI citoyenne avec qui nous avions pris langue pour un portage éventuel du foncier. Depuis un an qu’elle instruit notre dossier, la SAFER a minutieusement consigné tous les commentaires de notre page Facebook. Mais en revanche, elle n’a pas jugé opportun de contacter, ne serait-ce qu’une fois, la SCI en question.

😇 On lui donnerait le bon Dieu sans confession… Notre pétition a généré des
« pressions très fortes et sans précédent en Bretagne » sur la DRAAF, selon le mot de Mr Le Saint (Ouest France, 18 février). Mr Le Saint est président du comité technique de la SAFER Finistère. A ce titre, il est le principal responsable des décisions de la SAFER nous concernant. Sa prise de parole invisibilise bien entendu l’autre pression : celle de Mr Le Saint, par ailleurs vice-président de la SAFER Bretagne. Et incidemment vice-président de la FDSEA Finistère. C’est peut-être un détail pour vous…

Et voici sa méthode. Le 16 février à Querrien, Mr Le Saint s’est invité en personne sur une de nos réunions associatives, pour protester contre notre pétition. 80 agriculteurs des environs l’accompagnaient ; la gendarmerie nous avait mis en garde contre un risque de débordements. Dans le même temps, nous faisions l’objet de menaces conduisant l’un d’entre nous à jeter l’éponge. La réunion (qui s’est finalement tenue sans nous) a été l’occasion pour Mr Le Saint de dire et laisser dire un certain nombre d’inexactitudes et de rumeurs sur notre projet (« est-ce bien financé par de l’argent légal ? » « C’est un projet financé à grands coups d’argent public»). Ce qui est plutôt curieux en termes de neutralité.

Notre homme a affirmé au passage que non, décidément, les gens se méprenaient sur le pouvoir de la FDSEA à la SAFER. Plus c’est gros, plus ça passe…

L’environnem… Le quoi ? Les élus de la Région Bretagne, ainsi que le Ministère, avaient instamment demandé à la DRAAF et à la SAFER de réévaluer les deux projets à la lueur de leurs engagements environnementaux respectifs. Peine perdue : il n’en a absolument pas été question ni à la SAFER, ni à la DRAAF.

Ainsi, sont notamment passés sous silence le fait qu’un projet soit en conventionnel et vise à une extension des capacités d’épandage, tandis que l’autre est en bio (sur un bassin versant en ZNIEFF/Natura 2000) ; que notre projet comporte un important volet d’écologie forestière (il y a 32 ha de forêt à Nargoat), ce qui n’est pas le cas du projet concurrent.

💣💣💣 « Le danger, c’est de créer un précédent », selon Mr Le Saint (Le Télégramme, 18 février). On aimerait bien savoir de quel précédent il parle ici, même si on a une petite idée.

En tout cas, s’il s’agit de créer un précédent permettant d’accorder les paroles et les actes sur l’installation agricole ; d’obtenir des raisons juridiques claires dans les refus SAFER ; de la transparence dans les procédures ; de moins (voire pas) d’intimidation de la part des syndicats majoritaires ; de plus de prise en compte de la mission « protection de l’environnement » de la SAFER, nous serons heureux d’apporter notre pierre à l’édifice.

Sujet emblématique Pour de nombreux signataires de notre pétition, vous nous l’avez dit, cette procédure concernant les Communs de Nargoat est emblématique. Quelques syndicats hégémoniques font la pluie et le beau temps sur l’attribution des terres : tout le monde le sait. Quand leurs décisions sont contestées, ces syndicats font de l’intimidation : c’est hélas habituel également. La loi du plus fort, plutôt que la loi tout court.
La question est de savoir si nos élus laissent ad vitam aeternam un blanc-seing à un tel groupe d’intérêts.

Et la suite ? Nous attendons la décision de la DRAAF. Notre dossier est attentivement suivi par un certain nombre d’acteurs, ainsi que par plusieurs médias nationaux.
Pas trop d’illusions : c’est le petit pot de terre contre le très gros pot de fer. Lequel n’est pas particulièrement connu pour sa bienveillance.
Mais nous ne sommes pas complètement seuls, grâce à vous. Wait and see…

C’est bon pour le karma Vous pouvez adhérer à l’association qui porte le projet Communs de Nargoat ici. Ca peut nous aider pour la suite. Adhésion à partir de 1 € symbolique.

Contact bonjour@communsdenargoat.fr